Le
passant qui de nos jours emprunte à Paris ou dans quelque ville de province la
rue du colonel Moll * se demande peut-être qui était cet officier
des Troupes Coloniales. Bigors et marsouins d’aujourd’hui, par leurs
affectations outre-mer ou leurs lectures, sont plus à même de connaître cet
ancien mais beaucoup ne sont certainement pas au courant de son exceptionnelle
et fulgurante carrière.
* Henri Moll est né le
16 mars 1871 à Saulx de Vesoul (Haute-Saône), dans une maison encore occupée par les Prussiens. Son père
était Alsacien avec toute la fierté patriotique blessée que comportait, à
l’époque, une telle origine. Après de brillantes études au collège de Vitry Le
François (Marne), l’adolescent entre à l’Ecole Militaire Spéciale de Saint-Cyr,
en 1889. L’année suivante, son frère aîné, Xavier, est tué au Tonkin. Dès lors,
il n’est pas étonnant que le jeune officier opte lors de sa sortie pour
l’infanterie de Marine, « Cette arme de tous les sacrifices » dont
beaucoup d’unités sont alors engagées en Afrique et en Asie.
Le Tonkin – L’Ecole
Supérieur de Guerre
Après
quelques mois passés au 2ème RIC à Brest, le sous-lieutenant Moll
est désigné pour l’Indochine. Il est affecté lors de son débarquement au 2ème
Régiment de Tirailleurs Tonkinois. Au cours d’un séjour de 3 ans, il fait
montre de qualités de sang-froid et de courage, en s’opposant à un notable
annamite qui allait entrer en rébellion. Ce dernier tente d’abattre le lieutenant
Moll qui riposte en le tuant. Pour cette action hardie, au cours de laquelle il
a aussi neutralisé tous les miliciens dissidents, il est cité à l’ordre de
l’Armée.
A
son retour en métropole, il est reçu à l’Ecole Supérieure de Guerre d’où il
sort breveté d’Etat-Major, en 1898.
Le Soudan
Très
attiré par l’Afrique, continent alors peu pénétré, le lieutenant Moll demande à
servir au Soudan. Il arrive à Kayes fin 1899 et y reçoit son troisième galon
alors qu’il n’a que 29 ans. Placé à la tête du poste de Dounzou bâti sur une
île du Niger entre Gao et Say, il a soif d’action et va donner la pleine mesure
à ses moyens. Il s’attache aux populations locales auprès de qui il
évoque « la justice, le bien, le progrès ». Plus concrètement,
il leur assure protection et sécurité. C’est ainsi que les Touareg ayant ravagé
un de leurs campements sur la rive gauche du fleuve, il n’hésite pas à
outrepasser les ordres du Gouverneur en allant les châtier. En ces
circonstances, il prend toutes ses responsabilités et couvre ses subordonnés.
Muté
avec la 5ème compagnie du 2ème RTS à Zinder, il rejoint
son nouveau cantonnement en marchant durant 3 mois dans une zone très aride
sans perdre un homme. Dans sa nouvelle circonscription, il déploie une activité
débordante au service de ses administrés. Alliant la plume et l’épée, il rédige
deux importants rapports économique et politique sur la région, qui seront
qualifiés de « modèles du genre » par le chef de bataillon
Gouraud. Ensuite, il disperse, avec une troupe de méharistes qu’il avait
formée, un rezzou de touareg qui avaient pillé, dans la région d’Agadès, la
grande caravane annuelle venant de Tripoli. Profitant de sa nouvelle
expérience, il écrit une étude sur l’organisation d’une compagnie montée à dos
de chameau qui fait autorité en la matière. Il termine ce séjour bien rempli en
allant à la rencontre de la mission Joalland-Meynier qui revenait du Tchad où
elle avait contribué à battre le sultan Rabah.
La mission Niger - Nigéria
Après
quelques mois passés en France, le capitaine Moll est chargé d’une mission
géographique importante. Avec le lieutenant- colonel anglais Eliot, il doit
délimiter la frontière entre le Soudan français et le Nigéria anglais. Débarqué
à Cotonou, le 15 décembre 1902, il s’acquitte très brillamment de sa tâche et
accomplit un important de travail de géodésie et de topographie. Ayant vaincu
beaucoup de difficultés et bravé de nombreux périls, la mission arrive sur les
bords du Lac Tchad, fin janvier 1904. Auparavant, le capitaine Moll avait été
nommé Chevalier de la Légion d’honneur, le 13 juillet 1903. Le 24 décembre
1904, il est promu chef de bataillon, devenant ainsi le plus jeune officier
supérieur de l’armée française.
La mission Cameroun - Congo
En
avril 1905 , le chef de bataillon Moll se voit confier la charge de
représenter son pays dans un organisme franco-allemand, devant délimiter les
territoires du Congo Français et du Cameroun allemand. Dans le contexte de
l’époque, il s’agit là d’une tâche très difficile, demandant diplomatie et
endurance. Avec le capitaine allemand Von Seefried, il va parcourir 20 000 kilomètres afin de
matérialiser une frontière longue de 2 000 kilomètres. Au cours de son périple,
notre jeune officier supérieur recueille une somme immense de renseignements
sur les régions traversées et les peuplades rencontrées, complétée par de
nombreuses photographies. Esprit concret, il voit dans le Mayo-kebbi, une terre
favorable à la culture du coton et distribue des graines aux villageois. Rentré
en le 2 mai 1907, il sera félicité par les autorité françaises et décoré par
l’empereur d’Allemagne. Son travail considérable avait, entre autres
réalisations, permis l’établissement d’une carte au 200 000è représentant une
contrée à peu près inconnue.
Le Tchad
Le
15 décembre 1908, alors qu’il commande un bataillon du 21é RIC à Paris, Moll
est nommé, fait exceptionnel à l’époque, lieutant-colonel à 38 ans. Peu après,
alors qu’il était sur le point de se marier, il accepte le poste peu sollicité,
de commandant des pays sous protectorat du Tchad. Il arrive à Fort Lamy le 6
octobre après un voyage de 4 mois. Un de ses premiers actes est d’améliorer la
desserte fluviale du pays entre l’océan Atlantique et le lac Tchad. Par cette nouvelle voie, un délai de 45 jours
peut être escompté entre Bordeaux et Fort-Lamy alors qu’il s’élève généralement
à 5 mois en empruntant le Congo, l’Oubangui et le Chari. Dans le domaine
politique, il désire créer « une association qui concilie les anciennes
coutumes et les idées de progrès » Son activité débordante ne lui fait pas
négliger la culture et l’élevage. C’est ainsi qu’il veut acclimater le coton,
développer les services vétérinaires, sur le modèle de celle fonctionnant à
Tombouctou. Il s’emploie également à améliorer l’apiculture et fonde une foire
annuelle de 10 jours à Fort –Lamy.
Cependant
à cette époque, le Tchad est le territoire le plus dangereux de l’Afrique
française. En effet, les dernières populations réfractaires à notre influence
sont installées surtout dans le Borkou et l’Ouadaï. Les sultans de ces deux
contrées disposent de troupes nombreuses et fanatisées par l’influence d’une
secte religieuse musulmane, les Senoussis. Le lieutenant-colonel Moll va devoir
bientôt affronter de redoutables adversaires bien armées.
C’en
est trop pour le lieutenant-colonel Moll qui se rend à Abéché. Il est résolu à
punir les fauteurs de troubles : Doudmourah, sultan du Oudaï qui a déclaré
la guerre sainte depuis 1908 et son vassal Tadjeddin. Dans ce but, il rassemble
toutes les forces disponibles du territoire dont 2 compagnies de Tirailleurs
Sénégalais récemment arrivés d’AOF.
La
colonne s’ébranle le 28 octobre et se trouve le 8 novembre aux environs de
Djirbel ; elle se dirige ensuite vers Doroté où l’eau est plus abondante
et le bivouac plus à organiser. Le lendemain, vers 9h30, les forces alliées des
deux sultans s’élevant à 5 000 cavaliers et fantassins attaquent, par surprise,
le campement.
Le
choc est très rude mais bientôt nos unités qui ne comprennent plus maintenant
que 600 hommes, réussissent à reconquérir le terrain perdu, mettant hors de
combat 600 assaillants. Nos pertes sont très lourdes. Les lieutenant-colonel
Moll, qui au cours du combat avait atteint par plusieurs coups de lance et de
sagaie dont l’un mortel, à la nuque. Parmi ses compagnons, les lieutenant Brulé
et Jolly, les adjudants Leclerc et Noël, les sergents Alessandri, Bal et Berger
ainsi que 30 Tirailleurs sont tombés.
Ensuite,
dans des conditions très difficiles, le capitaine Chauvelot prend le
commandement des rescapés. Il effectue des reconnaissances et surveille le
secteur. Plus tard, une nouvelle
expédition sera organisée. En trois combats, dont un à Doroté même le 23
janvier 1911, les Massalits vont être irrémédiablement défaits.
Ainsi
périt à 39 ans, le lieutenant-colonel Moll, sans avoir pu consacrer à la France
la plénitude de ses remarquables qualités. Sa fin prématurée enlevait aux
populations d’Afrique qu’il aimait tant, un chef émérite qui désirait les
conduire vers un avenir de paix et de bien-être. Notre Arme aussi était
cruellement éprouvée par cette disparition. Un de ses subordonnés écrivait peu
de temps après sa mort : « Pour la coloniale toute entière, ce sera
une perte car il en était une des plus illustres têtes ».
Jeunes
militaires des Troupes de Marine que le devoir appelle au Tchad, inspirez –vous
de la personnalité noble et rigoureuse de votre grand Ancien. Son action
généreuse, poussée jusqu’au sacrifice, constitue un exemple toujours
d’actualité en ce pays où son corps et celui du capitaine Fiegenschud reposent
pour toujours au petit cimetière d’Abéché.
Colonel
(ER) RIVES (Archives M. MAHEUT Vitry le François)
Bulletin paroissial de Saulx de Vesoul du mois de janvier 1911
V Le mardi 24 janvier, dans
l’église Notre-Dame de Dijon, fut célébré pour notre illustre compatriote Henry
Moll, un service funèbre très solennel . Au premier rang, le père et la
mère du héros, entourés de toutes les Autorités civiles, judiciaires et
militaires de la ville.